Dans l’atelier de Marine Billet
L’art a plusieurs sens. C’est un domaine qui nous touche, qui nous parle et qui suscite chez le spectateur des émotions inexplicables. L’art est né il y a plus de 35 000 ans et est au cœur du savoir-faire. Aujourd’hui, il perdure dans le temps grâce à des artistes inspirants. Parmi eux, nous retrouvons Marine Billet.
Marine Billet est née en 1988 en Normandie. Elle a grandi à Fécamp, une ville au bord de la mer. Diplômée de l’école d’architecture de Rouen, elle a ensuite passé deux ans au Vietnam pour se spécialiser dans l’architecture de l’Asie du Sud-Est. Une fois de retour, elle intègre une agence d’architecture de luxe, spécialisée dans le design mobilier.
Collectionneuse de bijoux depuis son plus jeune âge, Marine s’est reconvertie dans la bijouterie il y a maintenant neuf ans. Pour elle, le bijou est comme une œuvre d’art permettant d’exprimer des émotions, des sensations et bien plus encore. Cette transition s'est faite de manière naturelle pour elle : elle avait déjà travaillé un corps dans un volume et désormais, il s’agissait de travailler un volume sur un corps.
Ainsi, à l’âge de 26 ans, Marine intègre l’école de bijoux AFEDAP, n’existant malheureusement plus aujourd’hui. Sa formation au sein de l’école était axée sur la création. Elle devait développer six pièces qui avaient pour obligation de raconter une histoire et d’être portables, celles-ci étant destinées à être exposées en galerie. En parallèle de son diplôme, Marine a réalisé sa collection intitulée : « Morceaux choisis de Paris ». Son souhait était de posséder avec soi un fragment de la ville de Paris en bijoux. Elle a donc choisi de mouler des éléments d’architecture urbains, tels que des poignées de portes ou encore des morceaux de lampadaires, pour les transposer ensuite en bijoux à l’échelle 1, c’est-à-dire à leur taille réelle.
Marine Billet est une femme curieuse et passionnée par les objets vintages, comme les vieux systèmes et les boutons… Elle aime dénicher de vieux objets, chiner de gros bijoux aux puces et aller dans des brocantes et des friperies. Par exemple, elle est fascinée par les bijoux de Dali, qui sont des pièces précieuses avec des pierres qui, pour elle, ressemblent presque à des sculptures. Également, Marine affectionne les accessoires liés à l’adoration, comme les ostensoirs pour les hosties que nous trouvons dans les églises. Enfin, elle adore sublimer des choses qui ne sont pas censées l’être. Prenons l’exemple de l’artiste français Hubert Duprat. Il transpose des insectes avec des éléments en or et des perles. Marine raconte que c’est comme si l’insecte fabriquait un nid avec ce qu’il trouve autour de lui, mêlant l’horrible et le sublime.
Elle affectionne particulièrement l’ancien, grâce aux coupes et aux matières utilisées pour la confection, ainsi qu’aux détails créés avec plus de précision qu’aujourd’hui. Son voyage au Vietnam et celui au Mexique lui ont permis de s’intéresser aux costumes, aux parures de corps et aux coiffes. Elle a toujours eu une sensibilité pour les costumes et les déguisements. Elle aime que les pièces puissent se déplacer sur le corps. Elle crée d’ailleurs certaines pièces pour sa sœur, qui possède un cabaret, et accepterait volontiers de créer des bijoux pour des spectacles, à l’instar de la maison Mugler, qui s’est imprégnée de l’univers du show et du spectacle. D’ailleurs, Marine a déjà collaboré avec une jeune chanteuse qui se peignait la main en doré pour chaque concert. Avec le temps, elle a souhaité trouver une alternative plus durable. Pour ce faire, elle a donc confectionné un gant articulé, composé de cinq pièces, permettant de nombreuses combinaisons en séparant ou en assemblant les éléments. Ce dernier est la pièce qui lui a pris le plus de temps, avoue Marine.
Elle retrouve ces éléments du spectacle lorsque ses pièces défilent sur des mannequins lors de défilés de haute couture, comme celui de la grande maison Schiaparelli, par exemple.
Marine est maquettiste de bijoux de mode lorsqu’elle travaille pour des maisons de couture, mais aussi artiste bijoutière pour sa propre marque, Incarnem, créée en 2016. Ce nom provient du mot « incarné » en latin, qui signifie « dans la chair ». Il évoque l’empreinte et la chair, établissant pour elle un rapport sensuel au bijou. La chair a une connotation légèrement dérangeante. Mais, bien qu’elle ait conscience que ses bijoux ne plaisent pas à tout le monde, elle garde l’idée qu’un bijou porté sublime et montre un aspect de soi, relevant quelque chose d’intime. Incarnem lui permet justement d’ajouter sa touche artistique, sa vision et sa manière de faire.
Marine a toujours voulu créer et confectionner ses propres bijoux, mais, à sa sortie de l’école, elle ne se sentait pas encore prête à se lancer. Elle a d’abord réalisé un stage chez un parurier qui fabrique les bijoux pour les défilés de maisons comme Givenchy. Elle a beaucoup aimé le rythme de travail : créer une pièce tous les jours, avec de nouvelles missions et de nouveaux défis. Par la suite, elle a voulu travailler dans des maisons de couture avec un univers créatif et une touche de surréalisme. Elle a contacté la styliste bijoux de la maison Schiaparelli et collabore désormais avec eux depuis ce jour. Toutes ces expériences très formatrices lui ont permis d’apprendre à se surpasser et à développer son goût pour le challenge.
Quatre ans plus tard, elle participe à une exposition avec son ami, présentant la collection de son diplôme. Cet événement lui a permis de se rappeler qu’elle était une créatrice, après avoir perdu de vue son objectif de créer ses propres pièces. Elle sortait une collection tous les deux ans, trouvait un lieu et organisait des lancements. Elle a décidé de repenser son rythme et de se consacrer davantage à sa marque en créant un site internet avec une partie marchande en octobre 2023, car jusque-là, Marine recevait des commandes uniquement via le compte Instagram de la marque.
Aujourd’hui, elle collabore avec une styliste qui crée sa maison de couture en lui fabriquant des boutons. Elle préfère choisir des maisons de mode moins connues, avec un réel désir de travailler avec elle, pas seulement pour son savoir-faire de fabriquant, mais surtout pour son travail d’artiste.
Lorsqu’elle collabore avec la maison de haute couture Schiaparelli, elle reçoit une fiche technique avec le dessin du bijou, suffisamment précis, un mois avant le défilé, pour qu’elle puisse ensuite établir un devis. Marine aide également la marque en conseillant les matières les mieux adaptées au projet. Le dessin n’étant pas une pièce en volume, un travail d’interprétation est effectué, tout en prenant en compte les attentes de la maison, le but étant de rester fidèle à son ADN.
La pièce iconique : le poumon, portée par la sublime Bella Hadid sur le tapis rouge de Cannes le 11 juillet
2021, a été réalisée par Marine deux semaines avant le défilé. Elle raconte qu’elle a reçu un croquis de Daniel Roseberry, le directeur créatif de chez Schiaparelli. Il souhaitait que le poumon soit le plus réaliste et précis possible. Ce projet a demandé beaucoup de recherches médicales, mais le dessin était libre d’interprétation.
Elle précise que si Daniel avait confié le croquis à un autre artiste, le résultat aurait sûrement été différent. Marine a dû envoyer énormément de photos à la styliste de la maison Schiaparelli et réaliser de nombreuses maquettes en métal pour obtenir la validation.
Le poumon a été exposé au Musée des Arts Décoratifs à Paris, ainsi qu’à la Biennale de Venise, une exposition culturelle internationale organisée chaque année à Venise. Il est également visible dans le showroom de Schiaparelli, où des personnes peuvent l’acquérir.
Lorsque Marine délivre ses pièces à la maison de couture, ses œuvres ne lui appartiennent plus et peuvent être exposées dans le monde sans qu’elle soit informée. Les pièces qu’elle réalise pour eux sont uniques et leurs coûts dépendent des matériaux choisis.
Pour ses créations, Marine Billet utilise principalement de l’argent et, pour les grosses pièces, elle privilégie le bronze et le laiton. Elle souhaite utiliser des métaux pouvant être refondus, offrant ainsi une certaine pérennité et permettant à ses clients de faire fondre leur or ou leur argent.
Sa technique de prédilection, utilisée à 80 %, est le moulage par cire perdue, un procédé de moulage de précision, pour obtenir des sculptures en métal (telles que l’argent, l’or, le bronze, le cuivre…) et travaille ce dernier de façon classique.
Marine se souvient encore du premier bijou abouti qu’elle a réalisé à l’école : une chevalière avec une de ses dents, sur le thème de L’identité. Comme les dents sont propres à chacun, elles permettent d’identifier une personne tout comme une empreinte digitale. Ce bijou lui a permis de sublimer sa dent, en la sertissant en laiton.
Marine a reçu le prix ELLE des Artisanes en 2023 dans la section Joaillerie en partenariat avec le groupe LVMH. Ce prix est réservé aux femmes et récompense les métiers de la main tels que la mode, le design, la vigne, le vin ou encore l’horlogerie.
Pour y postuler, il faut être à la tête de votre entreprise depuis au moins trois ans, justifier d’une dynamique de transmission de savoir-faire en employant des stagiaires ou des apprentis, être motivé et avoir des projets.
Deux semaines plus tard, Marine se voit décerner le prix du BEST IN CREATIVITY Award, remis par Laura Inghirami pour la Milano Jewelry Week 2023.
Avant d’atterrir à Milan, Marine ne savait pas qu’elle était sélectionnée. Cela fut une surprise pour elle. Le site Incarnem était en ligne depuis seulement quelques semaines et avait suscité chez elle beaucoup de doutes et de stress quant à l’identité et au nom de sa marque. Ce prix lui a donc permis de se rendre compte que son activité plaît et que les gens croient en son travail. Cela lui a également permis de gagner en notoriété et en visibilité.
Pour l’année 2025, elle souhaite être accueillie dans des galeries, dans des lieux à New York ou à Londres, proposer ses moulages à l’étranger. En effet, cela peut être intéressant de découvrir le rapport au moulage et au corps de différentes cultures et de voir la manière dont ils vivent et ressentent ça. Également, elle désire aller à la rencontre de nouvelles personnes pour continuer de découvrir de nouvelles choses. En effet, Marine aime le contact avec ses clients. Cela lui permet d’être plus proche, d’avoir des retours sur ses créations et de discuter avec chacun d’entre eux. Par exemple, un jour, une femme âgée ayant perdu l’articulation de son doigt lui a demandé un moulage sur mesure de son doigt en bijou.
Enfin, Marine tenait à partager ses conseils pour les jeunes créateurs qui souhaitent se lancer dans la création de bijoux et dans le design en général. Selon elle, prendre son temps et réfléchir est important, et ce, malgré les normes de la société qui demandent de savoir rapidement ce que nous souhaitons faire plus tard. Il faut profiter de l’école pour réaliser des choses, même s’il arrive que ce ne soit ni portable ni commercialisable. L’important est de s’amuser et de ne pas se précipiter pour prendre le temps de construire sa maturité esthétique et de savoir ce que nous avons envie de raconter. Il y a énormément de bijoux et d’objets. Alors, il faut savoir se démarquer en racontant quelque chose de différent. Il ne faut pas perdre de vue les objectifs et les projets qui nous animent en travaillant pour les autres à cause de la stabilité et du confort.